Une fois n’est pas coutume, c’est de sécurité civile dont je vais parler dans cette brève.
Dans le cadre de ce qu’on appellera les services de secours participatifs, des applications smartphone permettent aux secours constitués de faire appel à un réseau de volontaires pour assurer le deuxième maillon de la chaîne avant l’arrivée de l’ambulance. Le premier étant le témoin passant de l’alerte.
Il y a quelques jours, j’ai été déclenché par une de ces applications. Voici mon histoire.
Il est un peu plus de 10h, je reçois un SMS.
Nous avons besoin de votre aide. Merci d’intervenir sur l’incident.
Suivi d’un lien pour lancer l’application SAUV life. Premier lâché d’adrénaline. J’accepte d’aider, il m’est demandé d’aller chercher un défibrillateur dans un complexe sportif non loin. J’ai un plan et l’itinéraire qui s’affiche.
Il n’y a pas de détails sur la nature de l’intervention. Mais le motif est limpide : dans le quartier, un cœur s’est arrêté de battre. Alors mentalement je révise.
Conscience : absente.
Ventilation : absente.
On dégage la poitrine, on sort les patchs du défibrillateur. Ah, ne pas oublier de raser ce qu’il pourrait y avoir à raser.
Position des mains, rythme, puissance…

J’arrive à la salle de sport. Pour la première fois, je demande le défibrillateur. Le vrai, pas le modèle pour la formation. La personne de l’accueil est très sympathique, me désigne l’appareil et me donne un coup de main pour situer l’adresse de la victime. Je repars au pas de course, le DSA sous le bras, non sans lui avoir promis de lui ramener son boitier. C’est que ça coûte cher, ces engins-là !
C’est là que mes ennuis commencent. SAUV life m’a indiqué que la victime est au numéro 43 de la rue. Seulement, une fois sur place, pas de numéro 43. À l’emplacement marqué par le GPS, il y a bien un immeuble d’habitation mais pas de numéro affiché. Et puis surtout, il fait plus d’une vingtaine d’étages et je n’ai aucune indication en plus de l’adresse.
Je re-vérifie dans l’application, et m’aperçois que le SAMU a changé l’adresse d’intervention ! C’est maintenant de l’autre côté du boulevard, au numéro 25. En passant, je note une ambulance du SAMU qui s’éloigne toutes sirènes hurlantes.
Deuxième surprise : le numéro 25 est en fait l’entrée de service de l’énorme complexe sportif où j’ai récupéré mon DSA ! Que de détours pour rien, et quelque chose de louche : si un arrêt cardiaque a eu lieu dans l’enceinte du complexe pourquoi la personne de l’accueil ne me l’a pas directement signalé ?
Pas le temps de pousser la réflexion trop loin, je rentre dans le premier bâtiment que je croise et me renseigne.
Ah oui, j’ai vu une ambulance venir il y a pas longtemps. Mais ils sont pas restés longtemps et ils sont repartis.
Ah. Un arrêt cardio-respiratoire, en France, ça se traite sur place et ça prend du temps. Beaucoup de temps. Je ressors, et avise les nombreux terrains de foot, basket et autre handball. Mon regard se promène : à la recherche d’un sportif au sol, d’un attroupement…
Cela fait maintenant un peu plus de 10 minutes que j’ai reçu l’alerte. Quelque part, pas très loin de moi et mon défibrillateur, il y a un être humain entre la vie et la mort qui attend des secours depuis plus de 10 minutes. Or les études ont montré que, lors d’un arrêt, la victime perd 10 points de chances de survie à chaque minute qui passe sans massage. Au bout de 10 minutes, les chances de survie sont estimées nulles.
Ne trouvant personne, je me résous à appeler le SAMU (le 15, pour les distraits du fond) pour demander un complément d’adresse.
Le PARM prend l’adresse et vérifie. Intervention annulée, les secours sont arrivés sur place et n’ont trouvé personne. La tension redescend. Je prends le petit chemin qui me ramènera à l’entrée principale du complexe pour rendre le défibrillateur tout en tentant de reprendre mon souffle. Le soleil tape fort, c’est la canicule et je cours depuis un moment.
Je n’ai pas massé aujourd’hui, et le défibrillateur ne m’a pas servi. Personne n’en avait besoin.
Tant mieux.
En revanche, cet appel malveillant au SAMU a fait déplacer un SMUR (un médecin urgentiste, un infirmier spécialisé et un ambulancier), un VSAV (3 pompiers), et moi, simple citoyen, le deuxième maillon de cette chaîne des secours. Les ressources médicales sont rares et précieuses. Un SMUR engagé sur une fausse intervention, c’est un SMUR qui ne peut porter assistance à une vraie victime. Un SMUR c’est jusqu’à plus de 2500 euros la demi-heure pour la collectivité, et donc à nos impôts.
Avant de refermer ce billet, quelques mots sur SAUV life, et une autre application similaire qui fonctionne également en région parisienne.

SAUV life est une application essentiellement liée à certains SAMU. Elle possède une liste de défibrillateurs à la disposition du public, et permet de géolocaliser des volontaires (formés ou non aux gestes de premiers secours). Lorsque le SAMU l’estime nécessaire, l’application sollicite le volontaire le plus proche de la victime d’un arrêt cardio-respiratoire pour accélérer la mise en place d’un défibrillateur.
À ce jour, SAUV life revendique 161301 volontaires dans les départements couverts, 904 déclenchements, et 28 vies sauvées.
L’autre application, c’est Staying Alive.

Cette application est plus liée aux sapeurs-pompiers. Comme sa sœur, elle recense les défibrillateurs et les volontaires, et à la demande des secours sollicite un intervenant proche.
Pour la petite histoire, le nom de l’application n’est pas anodin. Staying Alive (« Rester vivant » en français) est doublement adapté aux circonstances. D’abord parce qu’elle vise à augmenter les chances de survie d’une victime d’un arrêt cardio-respiratoire. Mais aussi parce que c’est le titre d’une chanson célèbre des Bee Gees, dont le tempo (104 par minute) est très proche du rythme recommandé pour le massage cardiaque (100 par minute).
Pour la petite histoire dans la petite histoire, il y a une autre chanson dont le tempo est très proche des recommandations, mais que l’on préfère ne pas retenir : Another One Bites the Dust (« Encore un qui mord la poussière ») de Queen.
Enfin, formez-vous aux gestes qui sauvent ! Vous ne savez pas quand un proche ou un inconnu en auront besoin.
Un arrêt cardiaque peut arriver n’importe où.
Et n’importe où c’est là où nous sommes tous.
— Staying Alive